Un jour, faut bien se lancer et y aller.
Passer le cap de ça-y-est-je-suis-diplômée-même-pas-peur-je-vais-travailler-comme-une-grande-TOUTE-SEULE-priez-pour-moi.
Et surtout devenir autre chose que la diplômée-du-Pays-de-la-frite. Parce que mine de rien, « l’odeur de graillon » peut coller longtemps au pyjama de bloc.
Je dois avouer avoir été plutôt chanceuse sur ce point. Peut-être (sûrement?) que mes boulots d’été en tant qu’aide-soignante, puis faisant fonction sage-femme dans des hôpitaux français ont amélioré mon CV. (En vrai, mon CV n’était RIEN sans mes superbes lettres de motivation). Ou peut-être ai-je vite trouvé ma place au sein de cette équipe qui m’a accueillie et dont la simple évocation transformait les yeux de mes collègues de promo en ciel étoilé… Beaucoup n’ont pas eu ma « chance », ont vraiment galéré, ne serait-ce que pour décrocher un entretien, au même titre que les jeunes diplômés actuels, mais pour des raisons bien différentes…
Et contrairement à ce que l’on pourrait imaginer, à ce que je m’étais imaginé, ce ne fut pas la « différence de niveau » avec mes collègues formées en France qui a représenté la plus grosse difficulté pour moi*.
Mais plutôt l’organisation des soins.
Fractionnée. Interrompue. A chacun(e) sa tâche.
Bien évidemment, les compétences de chaque intervenant(e) l’amène à pratiquer tel ou tel geste technique, accompagnement qu’un(e) autre n’est pas capable de faire car ce n’est pas son métier. Mais tout de même.
Je ne suis plus diplômée d’hier, suis maintenant considérée comme une moyennement vieille avec mes 10 ans d’exercice. La situation des maternités au Pays de la Frite a peut-être évolué. Vous me le direz.
Ce qui m’a le plus frappé , ce sont les sonnettes. Ces petits instruments permettant au patient d’appeler sans bouger de son lit un membre de l’équipe soignante. Tous les étudiants sages-femmes/infirmiers/auxiliaires de puériculture/aide-soignant le savent: répondre aux sonnettes, c’est LA tâche qui leur est dévolue. Et je n’ai jamais tant répondu aux sonnettes… qu’une fois diplômée.
J’ai été formée sur la base du « nursing intégré » : entendez par là qu’autant que possible, une seule personne, sur le temps de la garde, s’occupe du/ de la patient(e). Et en regroupant les soins. Je sais que les infirmiers, dans les services français, exercent un peu plus dans cette dynamique. Mais dans les services d’obstétrique , beaucoup moins. Au Pays de la Frite, en suites de couches (le service d’hospitalisation après l’accouchement), il y avait une armada de sages-femmes et cela donnait des temps de transmissions dignes d’un staff! Chaque sage-femme avait à sa charge en moyenne 5-6 couples mère-enfant et s’occupait exclusivement d’eux. J’ai donc été très déstabilisée en commençant en suites de couches en France, par le ballet de chacun et les différents « tours » (lire sans faire de pause, hein parce qu’on a pas le temps de faire des pauses à l’hôpital): celui de l’agent de service hospitalier qui donne le petit déjeuner-l’aide soignante qui prend la tension et la température-l’infirmière qui passe donner les traitements prescrits et effectuer les soins de paroi (cicatrices), de voie veineuse périphérique (perfusion)-l’auxiliaire de puériculture qui vient aider les parents pour faire le bain, peser le bébé (sauf si cela s’effectue en nurserie commune, également bureau des auxiliaires et des puéricultrices, espèce de grande salle de bain où les parents les retrouvent pour les bains **)- l’agent de service qui récupère le plateau / faire le ménage de la chambre – l’aide soignante et l’infirmière qui repassent pour faire le lit – la sage-femme (enfin!) qui (elle aussi) fait son tour, examine « sa » patiente, discute un peu, prépare la sortie…. Ballet reproduit +/- « à la chaîne » auprès des 15-20-25 couples mère-enfant selon la capacité du service.
Forcément, après avoir évolué pendant 4 ans dans « tu rentres dans une chambre, tu fais TOUT ce qu’il y a à faire, de sorte à ce qu’elles sentent qu’on leur accorde du TEMPS », je me suis pris une belle claque. Alors oui, je vous vois venir, bien évidemment que dans certaines situations, des actes étaient fractionnés: celle devant recevoir son antibiotique en IV (= intraveineux) toutes les 6h avait une visite plusieurs fois par jour, ou lorsque certains protocoles de conduite à tenir s’appliquaient à la patiente. Et bien évidemment que nous retournions voir les femmes plusieurs fois par jour si besoin.
Généralement, une fois le petit déjeuner servi par l’ensemble de l’équipe (et oui, au Pays de la Frite, les sages-femmes distribuent les repas), les soins s’organisent: la sage-femme fait TOUT : le lit, les soins infirmiers potentiels, les soins au bébé, l’aide au bain, la pesée, l’accompagnement à l’allaitement, préparer la sortie… En moyenne (parce que oui, j’ai tenu des comptes horaires à une période), nous restions 45 minutes à 1h dans chaque chambre. (j’étais tout de même ravie en sortant des chambres triples). Et les femmes sonnaient très peu le reste de la journée. Certaines maternités fonctionnaient en binôme sage-femme/auxiliaire-puéricultrice (désignée puéricultrice, les infirmières pédiatriques du Pays de la Frite étant nos infirmières puéricultrices en France), mais toujours sur le même principe et assez peu fréquemment. Ce système a bien sûr ses limites, comme le « bénéfice » qu’apporte une nurserie commune pour aller donner le bain à son bébé à son propre rythme /horaire (quoi que, je m’avance sûrement, mais je ne connais pas beaucoup de maternités où les bains sont donnés ailleurs que le matin).
J’étais donc complètement perdue quand j’aidais, par exemple, une femme à mettre son bébé au sein, et voyais la puéricultrice débarquer:
« je viens faire son Guthrie »
« non mais laisse, je suis là je lui ferai ensuite »
» ah mais non, c’est MON travail »…
Et surtout, les sonnettes sonnent, beaucoup, de façon inversement proportionnelle à notre disponibilité.
Je ne vois honnêtement pas où est le bénéfice pour la femme et son bébé de ce type d’organisation (je tiens à préciser que je sais combien sont essentielles les puéricultrices, auxiliaires puer, aides-soignantes et infirmières. Loin de moi l’idée de déprécier leur travail) en suites de couches où les repères, discours cohérents et continus sont essentiels. Et en salle de naissance n’en parlons pas.
Cette répartition des tâches m’y a semblé encore plus violente, car s’il y a bien une période où la femme a un degré très faible de tolérance aux perturbations, c’est bien lorsqu’elle accouche!. Et point d’infirmier(ère) anesthésiste ni de brancardier dans cette maternité où j’ai commencé, pour ajouter au travail de mémoire des visages.
Mais répartition violente aussi car tellement ancrée, que j’ai (trop souvent) vu des femmes attendre d’être perfusées par l’infirmière (qui brancarde/ surveille la femme récemment césarisée/ aide une autre sage-femme à préparer mère et bébé pour le passage en suites de couches) pour avoir leur péri, pendant que la sage-femme, qui sait perfuser hein, attend que l’infirmière le fasse, ou encore voir ces fameux Guthrie prélevés en pleine nuit, à 3h du matin « parce qu’il est né à cette heure là »…
Ce n’est pas le cas de tous les services bien sûr (et heureusement!), et une prise en charge pluridisciplinaire, lorsque nécessaire, est salvatrice (suivez mon regard vers mes collègues de PMI qui me sauvent la mise bien trop souvent) mais je suis convaincue du bénéfice d’un « défractionnement » des soins…
Je prêche pour ma paroisse me direz-vous, j’aurai probablement peut-être une vision différente si j’avais appris à travailler en fractionné.
En attendant, j’ai quitté l’hôpital, et ne travaille plus en fractionné.
* soyons clair, notre formation a aussi ses points forts, le fait, entre autres, qu’elle s’oriente avant tout sur la physiologie, la normalité de la grossesse et l’accouchement, pour moi l’essence même de notre métier
** à noter qu’en 4 ans d’études, aucune maternité lieu de stage n’en disposait